Guide d’adaptation culturelle : Présenter à un public français vs. anglo-saxon
Voir le tutoriel
Ce guide s’appuie sur les concepts du livre The Culture Map d’Erin Meyer pour vous aider à adapter stratégiquement vos présentations.
Introduction : L’importance de la culture dans la communication
Avant de plonger dans des exemples spécifiques, il est crucial de comprendre pourquoi la culture de votre audience est un facteur déterminant dans la construction de votre présentation et de votre communication en général, surtout en entreprise.
La manière dont nous structurons un argument, dont nous communiquons (explicitement ou implicitement), dont nous donnons du feedback ou dont nous bâtissons la confiance varie considérablement d’une culture à l’autre. Ignorer ces différences peut mener à des malentendus, à une perte de crédibilité, ou simplement à un message qui ne “passe” pas.
Qu’est-ce que la “culture” dans ce contexte ?
Il ne s’agit pas seulement de pays. La culture opère à plusieurs niveaux :
- Nationale/régionale : Des normes et attentes partagées (ex: France, Allemagne, Japon…).
- Organisationnelle : Chaque entreprise a sa propre culture (ex: secteur public vs. secteur privé, startup vs. grand groupe).
- Équipe/individuelle : Même au sein d’une même culture, les personnalités et les expériences façonnent les préférences de communication.
L’objectif de cette fiche n’est pas de créer des stéréotypes, mais d’éveiller votre conscience à ces différences et de vous encourager à toujours analyser le contexte culturel de votre audience avant de préparer votre communication. Le livre “The Culture Map” d’Erin Meyer est particulièrement pertinent car il évite les simplifications excessives en comparant les cultures sur huit échelles nuancées.
Pourquoi comparer France et Anglo-Saxon comme exemple ?
J’ai choisi cette comparaison spécifique pour plusieurs raisons pratiques, souvent rencontrées dans le monde professionnel actuel :
- Contexte international fréquent : Beaucoup d’entreprises françaises opèrent à l’international et collaborent étroitement avec des équipes ou des sièges basés aux États-Unis, au Royaume-Uni, etc.
- Influence managériale : Même dans des entreprises françaises, les modèles de management et de communication “à l’américaine” (plus directs, orientés résultats) sont souvent valorisés et adoptés, créant un mélange culturel interne.
Gardez à l’esprit que cette comparaison sert d’illustration pour comprendre les mécanismes en jeu. Les mêmes principes d’analyse et d’adaptation s’appliqueraient si nous comparions la France à l’Allemagne, ou même la culture de deux départements au sein d’une même entreprise française.
Maintenant, explorons à titre d’exemple les différences clés entre les approches française et anglo-saxonne (USA, UK, Canada, Australie) à travers les échelles d’Erin Meyer les plus pertinentes pour une présentation.
1. Les échelles clés qui impactent vos présentations
Parmi les huit échelles d’Erin Meyer, quatre sont absolument critiques pour une présentation.
1. Persuader
C’est l’échelle la plus critique car elle définit la structure de votre argument.
- Anglo-Saxon (applications-first) :
- Raisonnement inductif. On commence par la conclusion, la solution, ou l’exemple pratique (le “comment”).
- La théorie sous-jacente n’est expliquée que si nécessaire. La priorité est donnée à l’efficacité et au pragmatisme.
- Français (principles-first) :
- Raisonnement déductif. On commence par établir un principe général, un cadre théorique, ou une méthodologie (le “pourquoi”).
- La conclusion est la déduction logique de ce cadre. L’audience doit d’abord adhérer au “pourquoi” avant d’accepter le “comment”.
2. Communiquer
- Anglo-Saxon (low-context / bas-contexte) :
- La communication doit être précise, simple, explicite et claire.
- Les messages sont pris au pied de la lettre. La répétition est un outil de clarté (ex: “Dites-leur ce que vous allez leur dire, dites-le-leur, puis dites-leur ce que vous leur avez dit”).
- La responsabilité de la compréhension incombe à l’émetteur.
- Français (high-context / haut-contexte) :
- La communication est sophistiquée, nuancée et “en couches”.
- Les messages sont souvent implicites ; l’auditeur doit “lire entre les lignes”.
- S’appuie sur un contexte partagé et valorise l’éloquence.
3. Évaluer et être en désaccord
- Anglo-Saxon (feedback indirect / évite la confrontation) :
- La critique est donnée avec diplomatie.
- On utilise la technique du “sandwich” (positif, puis négatif, puis positif) pour adoucir la critique.
- Le débat ouvert est souvent vu comme négatif ou perturbateur pour l’harmonie du groupe. Le Q&A sert à clarifier.
- Français (feedback direct / confrontationnel) :
- La critique est donnée de manière franche et directe.
- Le débat et la confrontation intellectuelle sont vus comme positifs et comme une marque d’engagement.
- Un Q&A passionné et argumenté est le signe d’une présentation réussie. Ne pas avoir de débat est souvent un signe d’échec ou de désintérêt.
4. Faire confiance
- Anglo-Saxon (task-based / basée sur la tâche) :
- La confiance est cognitive, bâtie “par la tête”.
- La crédibilité vient des résultats, des données, de la compétence démontrée et de la fiabilité. “Le business est le business”.
- Français (relationship-based / basée sur la relation) :
- La confiance est affective, bâtie “par le cœur”.
- Elle nécessite une connexion personnelle, forgée lors des repas, des pauses café. Le déjeuner de deux heures n’est pas une perte de temps, il est le travail.
- La crédibilité repose aussi sur l’autorité intellectuelle (diplômes, maîtrise de la théorie).
2. Le Choc des paradigmes (exemple France vs. Anglo-Saxon)
Le paradigme Anglo-Saxon : “L’outil pragmatique”
- Objectif : Un outil d’aide à la décision.
- Logique : “Get to the point” (Applications-first).
- Slides : Riches en données, texte explicite, peuvent se lire seules.
- Q&A : Préserver l’harmonie.
- Succès = Une décision claire et rapide est prise.
Le paradigme Français : “La proposition intellectuelle”
- Objectif : Introduire un concept et initier un débat pour tester sa validité.
- Logique : “Établir le pourquoi” (Principles-first).
- Slides : Conceptuelles, minimalistes, un support au discours.
- Q&A : Le débat est un signe de respect.
- Succès = La qualité et la passion du débat provoqué.
3. Le “paradoxe de la crédibilité” (exemple France vs. Anglo-Saxon)
C’est le plus grand piège. L’action que vous entreprenez pour établir votre crédibilité dans une culture peut activement la détruire dans l’autre.
- Cas 1 : L’Anglo-Saxon en France.
- Il “va droit au but” (Applications-first) pour paraître efficace.
- Résultat : L’audience française le perçoit comme superficiel, manquant de rigueur intellectuelle, car il n’a pas établi le “pourquoi” (le cadre théorique). Sa crédibilité est détruite.
- Cas 2 : Le Français aux USA/UK.
- Il commence par la théorie (Principles-first) et accueille le débat (Confrontational) pour montrer sa rigueur intellectuelle.
- Résultat : L’audience anglo-saxonne le perçoit comme impraticable, “académique” et agressif. Elle s’impatiente (“Qu’il en vienne au fait !”). Sa crédibilité est détruite.
4. Plan d’action (adapté à l’exemple France vs. Anglo-Saxon)
Si vous (style plutôt Anglo-Saxon/Data) présentez à un public majoritairement Français :
- Inversez votre structure : Abandonnez le “Applications-first”. Commencez par le “pourquoi”. Définissez le contexte, la méthodologie, le cadre théorique avant de donner la solution.
- Accueillez le débat : Ne le prenez pas personnellement. Si on vous challenge, c’est un signe d’engagement. Préparez-vous à défendre votre méthodologie, pas seulement vos résultats.
- Construisez la relation : Le café avant ou le déjeuner après n’est pas une option, c’est une partie essentielle de la présentation pour bâtir la confiance.
Si vous (style plutôt Français) présentez à un public majoritairement Anglo-Saxon :
- Commencez par la conclusion : C’est le plus important. Mettez un résumé exécutif (Executive Summary) sur la slide 1 ou 2.
- Adoptez le “tell-show-tell” : Annoncez votre plan, présentez vos points, puis résumez vos points clés à la fin. La répétition est vue comme de la clarté.
- Rendez vos slides explicites : Vos slides doivent pouvoir être comprises sans vous. Utilisez des titres qui sont des phrases complètes (ex: “Le Modèle B a surpassé le Modèle A de 20%”).
- Modérez votre style de feedback : N’attaquez pas les idées frontalement. Utilisez des “adoucisseurs” (ex: “C’est un point intéressant, une autre façon de voir serait…”) pour préserver l’harmonie.
Si l’audience est hybride (mélange de cultures, ex: Français + Anglo-Saxons) :
- Nommez les différences (métacommunication) : Commencez en disant : “Je vais commencer par le résumé exécutif (pour aller droit au but), puis je détaillerai la méthodologie qui nous y a amenés”. Cela montre que vous êtes conscient des différentes attentes.
- Séquencez la structure : Servez les deux camps. Slide 1 : Résumé exécutif (pour les Applications-first). Slide 2 : “Comment nous y sommes arrivés” (Contexte/Méthodologie, pour les Principles-first).
- Structurez le Q&A : Séparez les types de questions si possible. “Prenons 10 min pour les questions de clarification (pour s’assurer que tout est compris), puis 15 min pour un débat plus large sur la stratégie/méthodologie”.